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DISSENSION DANS LA CRITIQUE D’ART
Critères, présupposés et alibis de la critique d’art à l’épreuve

 

Dans de nombreux domaines d’activité tels la gastronomie, l’œnologie, le critique n’a jamais été autant plébiscité, imposant ses choix comme un vrai gage de qualité et ses valeurs comme un critère d’excellence.
Dans l’art actuel, la critique, bien que présente, ne semble plus jouer un rôle aussi déterminant que celui qu’elle a pu connaître par le passé… pensons à l’influence de Diderot, Pierre Restany, Gérald Gassiot-Talabot, Leo Stein, Rosalind Krauss, Lawrence Alloway, Harold Rosenberg et tant d’autres.

Le critique d’art est confronté depuis plusieurs années à un changement inédit de paradigme : face à la pléthore actuelle de plasticiens, il lui est impossible d’avoir une connaissance globale de la production artistique internationale. Si le critique d’art veille toujours à soutenir et accompagner le travail des artistes, il ne peut plus prétendre à l’exhaustivité et donc penser l’art de son temps dans son intégralité. Il fait des choix, en suit une partie et préfère en oublier une autre. A cet état de fait vient s’en ajouter un autre : le commissaire d’exposition est devenu en quelques années un personnage incontournable de l’art contemporain. Tant et si bien qu’aujourd’hui il est rare que le critique d’art n’endosse pas cette double casquette de curator/art critic.

En conséquence, la critique d’art s’est peu à peu dispersée voire délitée laissant place à une sorte de rhapsodie cacophonique de voix hétérogènes dans lesquelles se partagent à parts égales discours réactionnaires, contestataires, dithyrambiques comme pondérés et mesurés. Une dynamique accentuée par les réseaux sociaux et les blogs en tous genres qui offrent à tout un chacun de brouiller encore un peu plus les repères. De ce capharnaüm émergent de temps à autres des scandales dont on ne sait plus très bien mesurer la portée. Est-ce que les œuvres perçues comme transgressives, voire outrageantes, nourrissent le futur de l’art ou appartiennent-elles plutôt à des faits de sociétés ? Référons-nous aux tumultes engendrés par le plug de Paul Mc Carthy lors de la FIAC 2014, l’œuvre d’Anish Kapoor « L’origine du monde » à Versailles ou encore plus récemment le don d’une œuvre de Jeff Koons à la ville de Paris, « Bouquet of Tulips » en hommage aux victimes des attentats de Paris.
De nombreuses revues d’art françaises phares ont d’ailleurs tranché : pour leur part elles ne se prononcent pas à ce sujet considérant que ce serait entretenir des conflits qui relèvent davantage du domaine du débat de société que de la critique d’art.

Finalement, ces scandales ne seraient-ils pas un mal nécessaire pour la critique d’art aujourd’hui, une occasion de faire à nouveau entendre la voix d’une expertise de l’art contemporain? Ne serait-ce pas dans l’opposition, la dissension que le critique trouve sa meilleure expression, peut au mieux définir ses positions, délimiter ses contours et ses limites et ainsi créer du discours et du débat ?

Il est certain que le métier a évolué en même temps que le milieu complexe de l’art contemporain et ses rapports de pouvoir. Ne serait-il pas nécessaire alors de redéfinir son rôle et sa position sensible, scientifique, éthique pour qu’il puisse redevenir une critique qui compte ? Dans ce cas, il faudrait repréciser les critères qui posent les fondements et les jugements de la critique d’art aujourd’hui et évaluer s’ils sont vraiment applicables à la production artistique de l’époque actuelle.

Pour la deuxième édition du festival de critique d’art de Bordeaux Pensées Périphériques, la critique d’art est invitée à questionner ses présupposés, à se prêter à l’exercice de l’autocritique et à se confronter à des œuvres suscitant des différends, ébranlant ses propres convictions pour retrouver sa nature de critique agissante.

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